Mes deux bébés, Louis-Félix et Gabriel m'ont quittée le 14 janvier 2007.
Au début de ma grossesse, je commence à perdre du sang. Après une échographie, on voit un petit décollement d'un des placenta. Puis les saignements se résorbent en moins d'une semaine. À 12 semaines de grossesse, les saignements recommencent mais en grande quantité. Ca y est, je croyais que je les perdais, mais ils sont restés accrochés. Deux mois complètement alitée s'en suivent donc, je me lève seulement pour aller à la toilette. Ma mère, qui m'a énormément aidée, me lavait même la tête dans le lit. Je passais mon temps à faire des allez-retours à l'hôpital à cause de la grande quantité de sang que je perdais. J'avais un hématome rétroplacentaire qui créait un vrai déluge lorsqu'il crevait.
Puis, mes saignements ont diminué puis ont cessé. Ma grossesse prenait enfin du mieux, mais je restais tout de même prudente en demeurant au lit. Le soir du 10 janvier 2007, je sens un peu de liquide s'écouler. En allant à la salle de bain pour vérifier, je me rends compte que ce liquide est clair. À 19 semaines, je sens que tout est perdu, que ma vie bascule.
On me passe en échographie le lendemain après m'avoir placée dans une salle d'accouchement de grossesse à risque, sous observation. Je m'attendais alors à avoir des contractions mais rien ne se produisit. L'échographie a révélé un bébé dans très peu de liquide amniotique mais bien vivant. Le deuxième bébé avait tout son liquide dans sa poche, il se portait très bien.
Durant les trois jours suivants, on était à la recherche de réponses à nos nombreuses questions. Les médecins m'ont dit qu'à ce stade de la grossesse, un bébé avec la quantité de liquide qu'avait mon pauvre Louis-Félix était condamné. Il ne pouvait développer les muscles de son corps à cause de possibilité trop restreinte de mouvements. Le pire, il mourrait à la naissance à cause d'une incapacité respiratoire. Les bébés ont besoin de respirer du liquide amniotique afin de développer leurs poumons et les muscles nécessaires à la respiration. Cette révélation me renversa, je devais accoucher d'un enfant qui décédera à sa sortie.
On a tenté de trouver des solutions pour sauver le deuxième bébé. J'ai demandé une césarienne pour un bébé mais c'était impossible. Une chirurgie de l'utérus provoquerait des contractions et la naissance de 2e suivrait. Un bébé de 20 semaines ne peut survivre hors de l'utérus. On m'a aussi parlé de l'infections qui apparait à la suite de la rupture des membranes. Dans mon cas, on estimait que les bactéries contenues dans le sang de mon décollement placentaire ont effrité la membrane et causé la perte des eaux. L'infection serait imminente, provoquant ainsi l'accouchement. De plus, je ne perdais plus de liquide amniotique, un sac vide en serait la cause. Ceci est aussi une porte d'entrée plus grande à l'infection. Et les deux bébés en serait touchés, l'infection gagnerait l'utérus, bébé 2 et moi. Nous en étions tous touchés.
Si j'avais laissé la nature faire les choses par elle même, j'aurais accouché à cause de l'infection qui aurait provoqué des contractions.Et les chances de sauver un bébé infecté sont très minces dans les cas de grande prématurité. Si chance il y a, la liste des séquelles permanantes risquait d'être encore plus longue que la liste des bébés prématurés. Pourquoi cela m'arrivait-il à moi? Moi qui voulait mettre au monde deux beaux garçons en santé, dans une famille ou ils auraient trouvé plein d'amour!
Il ne me restait qu'à espérer un miracle, celui que le sac de Louis-Félix se recolle, tout rentrerait dans l'ordre. Nous avons laissé quelques jours s'écouler avant de passer une autre échographie. Lors de ma dernière échographie, j'ai vu un pauvre petit bébé, tout coincé, sans la moindre goutte de liquide amniotique. Je me suis alors effondrée, j'ai pleuré toutes les larmes que mon corps pouvait contenir. Et j'ai compris que je n'avais plus le choix. En retournant à ma chambre, j'ai demandé qu'on mette un terme à ma grossesse qui était si difficile depuis le début. Je ne voulais pas attendre que mes bébés souffrent, je n'étais plus capable de continuer ainsi, je devais me libérer de toute cette insupportable pression. Je n'aurais jamais pensé que quelque chose d'aussi difficile puisse m'arriver. C'est à mon avis, la décision la plus difficile qu'on doive prendre dans notre vie. Et j'aurais tout donné pour que la nature m'aide un peu. Mais elle n'était définitivement pas de mon côté depuis le début de ma grossesse.
J'ai fait énormément de sacrifices pendant cette grossesse. J'ai passé deux mois chez mes parents, alitée, sans pouvoir prendre ma fille de 11 mois dans mes bras, sans voir le père de mes enfants (seulement les fins de semaines à cause de la non-proximité), sans sortir, sauf pour aller à l'hôpital passer des examens. Je l'ai fait pour amour de mes jumeaux adorés, parce que j'aurais tout donné pour leur donner ne serait ce qu'une chance de voir le jour et de vivre en santé.
J'ai accouché de Louis-Félix, qui est mort pendant l'accouchement le soir du 14 janvier. Son frère, Gabriel, est mort trois heures après sa sortie de l'utérus, collé peau contre peau sur ma poitrine et celle de son frère jumeau. Ce fut pour moi le moment le plus difficile de ma vie. Je peux dire que j'ai mis toute mon énergie à les accompagner du mieux que je le pouvais, tellement que j'ai eu l'impression de mourir avec eux. Oui, une part de moi s'est envolée avec mes jumeaux, tout comme une part d'eux est restée avec moi, dans mon coeur. Nous sommes ensemble, du mieux que nous le pouvons, à tout jamais.
Louis-Félix et Gabriel m'ont permis d'en apprendre énormément sur moi et sur ma façon de voir la vie. J'ai dépassé les limites du raisonnable, de l'humainement supportable. J'ai vécu, en quelque sorte, ma propre mort. Sereinement, silencieusement, doucement. J'ai touché à des dimensions que peut être seuls les gens qui en accompagnent d'autres vers la mort ont senti avant le jour de leur propre mort. J'ai grandit dans cette expérience si bouleversante. Mais aujourd'hui j'en veux à la vie, de ne pas nous avoir donné la chance de vivre ensemble, de m'avoir abandonnée.
Merci de m'avoir écoutée,
Marie-Julie, maman de Livia, d'ange Gabriel et d'ange Louis-Félix