Une épreuve comme celle-là ébranle les relations: si au départ la relation n'est pas facile, que les malentendus sont souvent source de conflits, ça ne peut pas faire autrement que d'empirer quand ça touche un sujet aussi personnelle.
Dans mon cas, la relation avec ma mère était bonne. Même si on ne se voit qu'une fois par année, on s'appelle très souvent. Quand Florance est décédée, elle m'a rapidement dit que je devais penser à son jumeau. Sur le coup, ça m'a vexé, j'avais l'impression qu'elle ne comprenait pas ce que je vivais. J'ai pris le temps d'y réfléchir et effectivement, elle n'a jamais perdu de bébé, elle ne peut pas comprendre comment ça peut être difficile à 6 mois de grossesse d'apprendre que ta fille, qui avait déjà un prénom, que tu as vu une dizaine de fois en échographie, est morte dans ton ventre, que tu devras la porter pendant des semaines. Et je connais ma mère: elle n'a pas la même peine que moi mais savoir que moi j'en avais, ça lui brisait le coeur. Elle essayait de me réconforter mais de façon bien maladroite.
Et puis je me suis dit que si je ne lui disait pas, elle ne pourrait pas comprendre c'est certain. Je n'étais pas à l'aise de le faire de vive-voix alors je l'ai fait par mon blog personnel où elle suivait déjà notre vie, la grossesse. J'y ai mis mes états d'âme, mes émotions face à ma fille, face aux commentaires des gens.
En même temps, j'ai teinté le tout d'un peu de rose. Parce qu'on ne se le cachera pas: une personne qui a toujours l'air triste, déprimé, qui ne parle que de son malheur, on la comprend au début mais à un certain moment, ça devient lourd et on finit par l'éviter parce que ça nous gruge toute notre énergie. Je n'avais pas envie de ça parce que je savais que ça éloignerait les gens et c'était la dernière chose dont j'avais besoin. Je voulais que les gens se sentent à l'aise de me parler de ma fille, parce que c'est souvent la raison pour laquelle les gens n'en parlent pas: pas parce qu'ils ont oublié mais parce que c'est trop lourd comme sujet.
Et bien un an plus tard, je peux dire que ça fonctionne. Les gens n'ont pas peur de prononcé le nom de Florance, je parle de ma dernière grossesse comme celle des jumeaux et non juste celle de mon fils et les gens me posent des questions sans gêne. Ma mère ne m'en parle plus parce qu'on a fait le tour du sujet mais si j'écris sur mon blog (comme dernièrement à la date de son décès) elle commente et me rappelle qu'elle y pense aussi.
Cette épreuve m'a appris a relativiser les choses: j'ai compris que je ne pouvais pas exiger quelque chose des autres si je ne faisais pas moi-même c'est-à-dire "comprendre". Mais j'ai aussi fait du ménage dans ma vie et je ne me sens plus coupable de ne pas être empathique à propos de certaines situations alors que certaines personnes n'ont démontré aucune empathie à notre égard, même pas un "je suis désolée".